Interview des porteurs du projet de SLAM-B

Vous retrouverez ci-dessous une interview d'Olivier Thérond (chercheur INRAE en Agriculture et Environnement) à propos du projet ciblé de FairCarboN SLAM-B. Olivier Thérond est actuellement co-responsable du projet ciblé SLAM-B en collaboration avec Bernard Kurek (chercheur INRAE - UMR FARE) et Lorie Hamelin (chercheuse INRAE).

  •  Pouvez-vous présenter succinctement ce projet de recherche ?

Olivier Therond : Le projet SLAM-B a débuté le 1ᵉʳ avril 2023 pour une durée de 5 ans. Il réunit des personnels INRAE, mais aussi du CIRAD, du CNRS, de plusieurs universités et écoles d'agronomie. Nous sommes à peu près 90 permanents de 40 laboratoires de recherche différents et nous sommes en train de recruter plus de 30 personnes en thèses, post-doctorats et postes d'ingénieur. Du fait du financement, il n'y a pas de partenariat avec des acteurs privés. Ce projet est coordonné par Laurie Hamelin (INSA Toulouse), Bernard Kurek (INRAE) et moi-même (INRAE).

 

  • Comment s’inscrit ce projet dans le contexte international ?

Olivier Therond : En fait, l'accord de Paris et toute la stratégie bas-carbone française ou européenne est basée sur l'idée qu'il faut piloter une transition, voire une rupture. La question qui se pose, c'est comment atteindre la neutralité carbone, considérant que dans les territoires, il y a des pédoclimats particuliers, des systèmes de culture particuliers, des systèmes de production et des filières particulières et que chaque territoire ne part pas du même point et n'atteindra pas le même résultat. L'enjeu est donc d'accompagner les acteurs à penser cette transition, considérant les spécificités biophysiques et sociotechniques de leur territoire et plus particulièrement les aider à concevoir des filières de bioéconomie, c'est-à-dire des filières de production-transformation-utilisation-recyclage de la biomasse qui permettent d'atteindre cette neutralité carbone et potentiellement qui délivrent un bouquet de services écosystémiques équilibré. L'objectif de la bioéconomie est alors de répondre aux enjeux de production alimentaire, de productions non-alimentaires, c'est-à-dire de production d'énergie, biomatériaux, biomolécule, tout en conservant les ressources naturelles. Ce triple objectif : production alimentaire, production non alimentaire et protection des ressources naturelles, est au cœur de la définition théorique de la bioéconomie, mais revêt un challenge particulier parce que si on exploite de plus en plus la biomasse, on peut créer des pressions plus fortes sur l'environnement et donc continuer à dégrader les ressources en eau, les sols, la biodiversité et les services écosystémiques.

 

  • Votre projet s’articule autour du concept de « bioéconomie circulaire verte », pouvez-vous expliciter de quoi il s’agit et dans quelle mesure SLAM-B tendra à y participer ?

Olivier Therond : on parle de bioéconomie circulaire et verte en référence à la « Green circular bioeconomy. Il s’agit de coupler productions biosourcées, circularité et systèmes de production agroécologiques pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, de durabilité et de résilience. On parle beaucoup d'économie circulaire, c'est-à-dire essayer de circulariser les flux de matière de manière à réduire la consommation de matière et donc de réduire les déchets, à l’image des symbioses industrielles où les déchets d'une entreprise deviennent les matières premières d'une autre entreprise. L’un des enjeux pour avoir une bioéconomie durable, c'est aussi d'avoir des systèmes de production de biomasse agricole et forestière qui qui permettent à la fois la production de biomasse et la fourniture d’un bouquet de services écosystémique c’est-à-dire des - systèmes agroécologiques. On obtient alors une bioéconomie basée sur une économie circulaire et sur l’agroécologie. Avec ce triptyque, on cherche à atteindre les trois objectifs, énoncés précédemment : la production alimentaire et non alimentaire et la conservation des ressources naturelles.

 

  • Pouvez-vous expliciter les trois grands défis que ce projet a vocation à relever ?

Olivier Therond : Le premier défi, qui est méthodologique, va être de développer des outils de modélisation qui permettent d'accompagner les acteurs. Ces outils sont regroupés dans une plateforme de modélisation qui s'appelle MAELIA et qui permet de faire des simulations de scénario d'organisations territoriales des filières de biomasse. Dans ce premier défi, on va compléter les fonctionnalités existantes de la plateforme de manière à pouvoir traiter l'ensemble des filières de biomasse, agricole et forestière, et dans prendre en compte certains flux de biomasse dans la ville, notamment ceux liés aux matériaux de construction biosourcés. Il s’agit donc de développer cette plateforme pour représenter les filières de biomasse dans le territoire et simuler leurs fonctionnements afin d’évaluer leur durabilité et leur résilience sur une large gamme d'indicateurs.

Le deuxième défi est de montrer que cette plateforme a un intérêt pour accompagner les acteurs. Notre objectif est donc de faire une preuve de concept en conditions réelles dans 6 living Labs a portée prospective. Ces 6 scénarios Lab ont été choisis pour être très contrastés en termes de conditions biophysiques, de filières et de systèmes d'acteurs. Il y en a 4 en France métropolitaine, dans les Vosges, autour de Reims, en Bretagne et dans le bassin de Louvèze au nord du Mont Ventoux.  Les 2 autres sont localisés à l'extérieur de la métropole, 1 sur l'île de la Réunion et 1 au Sénégal, dans la zone de la grande muraille verte, où on va s'intéresser à deux grands types de système agricoles bien différents

Le troisième défi est celui d'appliquer des méthodes de modélisation pour évaluer des scénarios à l'échelle de la France et de l'Europe. Il ne s’agit plus de cibler les mêmes décideurs ou les mêmes acteurs que dans les travaux des scénarios Labs où l’on est à l'échelle de beaucoup plus petits territoires. Dans ce cas, on va essayer d’évaluer des scénarios de développement de la bioéconomie pour renseigner les décideurs politiques à l'échelle de la France, voire de l'Union européenne. Il faut donc penser par exemple au potentiel de biomasse que l'on peut produire, à sa transformation via des procédés de type méthanisation, et donc au potentiel de production de biogaz que l'on pourrait atteindre en Europe, aux questions d’efficience énergétique... Est-ce qu'en développant cette bioéconomie, on améliore l'efficience énergétique du système ? Nous allons également développer ce qu'on appelle un MAELIA France, un nouvel outil qui va permettre de potentiellement guider les décisions politiques autour de la bioéconomie à l'échelle de notre pays.

 

  • Maelia est donc un outil central dans votre projet. Quelle est son origine ? Pourquoi a-t-il cette place aussi centrale dans votre projet ?

Olivier Therond : MAELIA est une plateforme de modélisation et de simulation des territoires agricoles et des systèmes de bioéconomie territorialisés. C'est une plateforme qui est développée par INRAE depuis 12 ans et, depuis quelques années, en collaboration avec le Cirad. Cette plateforme a été créée pour traiter des questions relatives au interactions entre agriculture et eau, comme les pressions liées à l'agriculture irriguée. Elle a été amplifiée au fil du temps pour traiter d'autres questions comme la gestion territoriale des matières organiques, la gestion des régulations biologiques à l'échelle du territoire. Ces dernières années, on a un positionnement de plus en plus affirmé sur les questions de la bioéconomie territoriale. Les développements se sont focalisés sur la modélisation de différentes filières de biomasse dans un territoire, afin d'être en mesure de voir dans quelle mesure elles peuvent être complémentaires. Avec un usage amplifié des biomasses, il y a un risque de créer des pressions sur l'environnement qui ne permettraient pas d'atteindre les trois grands objectifs de la bioéconomie. MAELIA est à notre connaissance un des seuls outils qui permettent de représenter finement l'ensemble des éléments de la filière, c'est-à-dire les systèmes agricoles, les systèmes de transformation et les systèmes de recyclage, sachant que les autres outils développés à l'international sont plutôt développés par des communautés de géographes, dans lesquels les systèmes agricoles sont représentés de manière très fruste. Dans ces derniers, on ne peut pas faire de modélisation fine des systèmes agroécologiques et ainsi voir dans quelle mesure la biomasse qui est produite par ces systèmes, une fois qu'elle est transformée et recyclée, permet d'atteindre des objectifs de durabilité et résilience plus ambitieux.

 

  • Quels seront les principaux résultats de vos travaux ?

Olivier Therond : MAELIA restera un logiciel libre et la nouvelle version qui sortira à l'issue du projet aura des capacités d'expression, c'est-à-dire de représentation, de simulation et d'évaluation très amplifiées par rapport à la version existante à l'entrée du projet. La plateforme MAELIA est un système modulaire dans lequel on vient intégrer différents modèles qui permettent de représenter le système complexe de bioéconomie territorialisée. Ainsi, les modèles produits par les autres projets ciblés pourront alimenter les fonctionnalités de MAELIA et donc le potentiel d'expression de la plateforme de modélisation.

Nous allons également produire une démarche d'accompagnement des acteurs, des formations à l'utilisation de la plateforme, plus particulièrement pour accompagner les acteurs dans la conception de scénario. Nous aurons aussi les productions des travaux avec les acteurs à l’échelle des scénarios Labs et, à l'échelle de la France et de l'Europe, de grands scénarios de de déploiement de la bioéconomie pour approcher l’objectif de neutralité carbone.

Date de modification : 15 février 2024 | Date de création : 09 janvier 2024 | Rédaction : FairCarboN