Interview des porteurs du projet CrosyeN

En juillet dernier, Yann Nouvellon (chercheur CIRAD) et Lionel Alletto (chercheur INRAE) se sont fait interviewer sur le projet ciblé de FairCarboN CrosyeN. Yann Nouvellon est actuellement le responsable du projet ciblé CrosyeN.

  • Pouvez-vous présenter succinctement ce projet de recherche ?

Yann Nouvellon : Le projet « CrosyeN » est l'acronyme de « Cropping system experiment Network », qui se traduit en français par « réseau d'expérimentations de système de culture ». Il s’agit d’expérimentations qui sont mises en place pour concevoir et évaluer des systèmes agroécologiques adaptés aux objectifs climatiques et aux transitions énergétiques et agroécologiques. C’est-à-dire consommer le moins d'énergie fossile possible, mais également répondre aux différentes attentes de la société vis-à-vis de l’agriculture en général, concernant notamment la biodiversité, la sécurité alimentaire et économique, la santé humaine et environnementale en général.
Ce projet a commencé en avril 2023 pour une durée de cinq ans. Il est coordonné par le Cirad et il se fait en interaction avec l'INRAE et l’IRD. Le projet regroupe donc une équipe multidisciplinaire de chercheurs principalement, des agronomes et des spécialistes dans le domaine de l’agroécologie, de l’agroforesterie, de la biogéochimie et des sciences du sol notamment.
Nous comptons également plusieurs partenaires universitaires internationaux, car nous avons quatre sites expérimentaux en France, mais également au Zimbabwe, au Cambodge et au Vietnam. En France, nous avons un réseau de partenaires non académiques qui regroupe des chambres d’agriculture et des professionnels du secteur agricole. Tous ces sites expérimentaux sont déjà existants et fonctionnels. Le projet va permettre une mise en réseau et une harmonisation de la collecte des données, pour créer une communauté de scientifiques travaillant sur cette thématique de conception de nouveaux systèmes de culture.
 Le projet CrosyeN a pour objectif de mettre en réseau des expérimentations système, de les instrumenter, de récolter des données et d'évaluer par comparaison différents systèmes de production par rapport à des systèmes conventionnels. Cela va permettre de tester des combinaisons de leviers agronomiques, tels que la diversification des cultures dans l'espace et dans le temps au cours de rotations successives, la maximisation de la couverture du sol, la réduction du travail du sol, l'introduction de légumineuses pour réduire les intrants par exemple.

 

  • Comment s’inscrit ce projet dans le contexte international ?

Yann Nouvellon : Vis-à-vis des changements globaux, il y a la nécessité d’utiliser moins d’énergie fossile et d’adapter les cultures au changement climatique. Le projet s’inscrit donc pleinement dans le cadre des accords de Paris et de l’objectif de neutralité carbone en 2050 fixé par l’Union Européenne. En effet, il sera nécessaire de réduire drastiquement l’utilisation d’énergies fossiles, mais aussi que le secteur agricole contribue à absorber et séquestrer le carbone des émissions résiduelles. Ceci nécessitera d’importants ajustements du secteur qui passeront par la modification des pratiques agricoles et des systèmes de culture. En effet, l’agriculture aujourd’hui contribue au niveau mondial à hauteur de 11% des émissions de gaz à effet de serre, notamment à cause de l’utilisation de fertilisants, qui sont très consommateurs d’énergies fossiles pour leur production, et l’utilisation des équipements agricoles.
 On constate également que les pratiques actuelles utilisant beaucoup d’intrants engendrent des problèmes de pollution des nappes phréatiques et une chute de la biodiversité.

 

  • Le projet CrosyeN s’articule autour du concept d’« expérimentation système ». Pouvez-vous définir de quoi il s’agit ?

Yann Nouvellon : Un système de culture peut être défini comme un ensemble procédés mis en place pour produire des végétaux, que ce soit pour l'alimentation ou autre, et qui inclut une séquence particulière de cultures mises en place dans le temps. Sont inclus également l'ensemble des itinéraires techniques appliqués à chacune de ces cultures. Les expérimentations de système de culture permettent de comparer différents systèmes entre ceux conventionnels et des systèmes innovants, de nouveaux prototypes par exemple, qui vont évaluer différentes combinaisons de leviers agronomiques, tels que l’introduction de légumineuses, une modification des rotations, une maximisation de la couverture du sol pour éviter les pertes de nitrate par exemple.

Ces expérimentations s’organisent en plusieurs étapes. Il y a d'abord le cadrage des objectifs qu'on veut atteindre, ensuite la conception et enfin la proposition de prototype ou d’évolutions par rapport à des systèmes de culture existants. Une fois mis en place, ces systèmes nous permettent de récolter des données qui vont concerner la productivité, les émissions de gaz à effet de serre, la quantité de travail, l'impact sur la biodiversité des sols ou encore l'impact sur le stockage du carbone dans le sol, entre autres. Nous pouvons ensuite comparer ces systèmes selon tous les critères et in fine transférer ces résultats aux professionnels du secteur agricole.

 

  • Comment et pourquoi évaluer les performances multidimensionnelles des systèmes de culture ?

Lionel Alletto : Quand on évalue des systèmes de culture, il y a obligatoirement une multidimensionnalité des variables étudiées. Une évaluation multicritère nous permet d’appréhender la durabilité de façon globale en prenant en compte les potentiels impacts des différentes variables les unes sur les autres. Nous avons trois échelles principales : économique, sociale et environnementale. Dans ces trois échelles de durabilité, on va avoir une série d'indicateurs qui vont éclairer plus ou moins certains points. L’objectif est d'avoir une vision un peu plus globale. Il existe déjà beaucoup de méthodes et indicateurs donc l’un des enjeux du projet sera de mettre en réseau différents dispositifs expérimentaux pour choisir, organiser et agréger des indicateurs au sein d'une méthode commune d'évaluation.

 

  • Est-ce que cette mise en commun va nécessiter la création d’une infrastructure d’expérimentations ?

Yann Nouvellon : les objectifs de cette infrastructure sont d'identifier et de renforcer par des ressources matérielles et humaines des dispositifs d’expérimentation de longue durée, qui sont souvent complexes à maintenir sur le long terme. Or les problématiques étudiées dans ce projet sont justement de long terme. L’ambition était de créer une infrastructure qui viendrait aider, appuyer et mettre en réseau un certain nombre de sites en adressant malgré tout des questions spécifiques. C'est-à-dire comment dans chacun des territoires, on évalue globalement la performance et la durabilité des systèmes qui sont testés. C’est là le cœur de l'animation et des objectifs du programme, de mettre ces dispositifs en réseau et de les appuyer financièrement pour qu'ils puissent avoir une visibilité à moyen terme à défaut de long terme. En effet, il est nécessaire de renforcer certains équipements sur certains sites pour monter un petit peu en gamme et en qualité de suivi et à partir de là que tous ces dispositifs interagissent et renvoient un certain nombre de données choisies et communes.

 

  • Concernant le transfert des connaissances aux professionnels, comment cela s’organisera ?

Lionel Alletto : bien qu’une évaluation complète soit plutôt prévue à la fin du projet, le transfert des connaissances vers les professionnels du secteur agricole se fera au fil de l’eau. L’ambition est que ces dispositifs d’expérimentation aient un rôle de support privilégié d’échange et de discussion. Les professionnels locaux sont régulièrement invités à participer à des réunions et des échanges entre acteurs du développement agricole. Ces lieux d’expérimentation sont également des lieux de transmission d’information, qui se déroule tout au long de la vie des dispositifs. Le cycle de vie complet du dispositif est important, pas uniquement les évaluations finales. Les acteurs du secteur agricoles sont présents durant le processus complet, et les réflexions des professionnels sont des éléments importants à prendre en compte.

Yann Nouvellon : C’est un projet de cinq ans, mais toute cette démarche qui est mise en place et ces contacts, le fait que les sites servent pour des visites, créent un écosystème qui a vocation à perdurer au-delà des cinq années. Nous espérons vraiment que le réseau qui sera mis en place continuera de vivre au-delà du projet.

 

  • Quelle est l’originalité/particularité de ce projet ?

Yann Nouvellon : Les échanges entre sites existent déjà, mais pas forcément à cette échelle et de manière un peu plus informelle et sur des thématiques particulières, sans considérer un ensemble de critères aussi important.

Lionel Alletto :  En général, nous travaillons sur des évaluations qui sont a posteriori. Or, dans ce projet, l’ambition est d’être plus proactif, d'anticiper un petit peu via le contact et la mise en réseau pour avoir un socle commun de données collectées, ce qui est assez nouveau par rapport à ce qui se fait traditionnellement.

 

  • Quels sont les principaux axes de travail pour mener à bien ce projet ?

Yann Nouvellon : On va dire que le premier objectif, c'est la mise en place des expérimentations, ensuite, il y a tout ce qui concerne la conception de protocoles communs  de mesure, pour l'ensemble des variables à mesurer, et l’établissement d’un plan de gestion des données. Il y a bien sûr le suivi des expérimentations, comprenant l’acquisition des données et leur archivage, leur mise à disposition pour les chercheurs impliqués dans le projet et au-delà.
 Ensuite, il va y avoir la définition des critères et de la méthodologie pour les analyses multicritères.
 Enfin, après la réalisation de ces analyses, les résultats seront publiés et transmis aux décideurs. Durant tout ce projet, il y aura également des activités annexes telles que de la formation, des visites de sites et des échanges organisés avec les professionnels.

 

  • Quels seront les principaux résultats de vos travaux ?

Yann Nouvellon : en plus des connaissances fondamentales sur le fonctionnement de ces écosystèmes, nous souhaitons qu’il y ait une mise à disposition des données pour l'ensemble de la communauté scientifique. Nous allons également interagir avec le milieu universitaire, donc il y aura aussi des étudiants qui seront formés. Nous aurons des interactions avec le monde professionnel agricole. Ce projet permettra de répondre à la fois à des questions pratiques, et scientifiques  sur le fonctionnement de systèmes de culture étudiés.

Lionel Alletto : pour appuyer sur le sujet de l’interaction avec le monde agricole, il y a des sites où des journées sont organisées autour de certaines pratiques, par exemple la destruction du couvert végétal de façon mécanique pour éviter d’utiliser la chimie. C’est quelque chose qui est encore peu pratiqué par les agriculteurs, mais qui est un premier pas important vers la diversification des cultures et le stockage du carbone dans le sol. Il y a sur les sites de nombreuses journées de ce type organisées pour diffuser les savoirs techniques des équipes du site, qui acquièrent au fil du temps de nombreuses compétences.

Yann Nouvellon : En effet, les dispositifs d’expérimentation sont bien implantés dans l’écosystème agricole local. Les acteurs professionnels sont invités à participer aux étapes de co-conception qui sont des démarches multi-partenariale.

Date de modification : 15 février 2024 | Date de création : 09 janvier 2024 | Rédaction : FairCarboN