Interview des porteurs du projet RIFT

Vous retrouverez ci-dessous une interview de Jérôme Demarty (chercheur IRD - UMR Hydroscience) le responsable du projet ciblé FairCarboN RIFT.

  • Pouvez-vous présenter succinctement ce projet de recherche ?

Jérôme Demarty : Le projet RIFT est un projet ciblé qui se structure autour de deux principaux volets. Le premier est plus d’ordre métrologique et technique. Il est dédié au renforcement des dispositifs de mesures de flux de GES dans les régions tropicales et méditerranéennes. Ces dispositifs, qu’on appelle « Tours de Flux », sont pour partie existants et déjà opérationnels, mais de nouveaux seront aussi déployés dans le cadre du projet. Le second volet est plus d’ordre scientifique, en lien avec la valorisation et l’exploitation des données produites.

Le projet Rift fédère une soixantaine de partenaires académiques. C’est un effectif assez important du fait que le projet, et les terrains d’études qu’ils associent, demande une mobilisation importante de personnels scientifiques et techniques du Nord et du Sud. Les pays du Sud étant des terrains d’expérimentation plus difficiles d’accès, il y a un fort besoin logistique. Dans le projet, nous avons donc consacré aussi un petit volet à la formation des personnels techniques qui travaillent sur les 13 sites de mesures que nous avons retenus. Ce sites sont localisés en Afrique de l’Ouest (7), en Méditerranée (3), en Asie (1) et en Amérique du Sud (2).

Côté Nord, le consortium rassemble une majorité d’agents du CIRAD et de l’IRD, même si des collègues de l’INSU et des Université y participent aussi. Le projet a débuté en mai 2023 pour une durée de 5 ans, sachant que le lancement scientifique du projet est programmé début décembre 2023.

 

  • Comment s’inscrit ce projet dans le contexte international ?

Jérôme Demarty : le projet Rift est au cœur des projets internationaux de transition actuels (accord de paris, neutralité carbone 2050) car le suivi des échanges gazeux avec l’atmosphère sont des mesures essentielles, qui permettent de faire des suivis fins dans le temps et établir des bilans précis. Les travaux de la communauté internationale ne permettent actuellement pas de suivre certains écosystèmes terrestres, parce que les tours de flux sont relativement exigeants et onéreux. On ne peut pas les multiplier plus que de raison, et ne pas y accéder trop longtemps sans opération de maintenance. Pourtant, comme dit précédemment, ces données sont essentielles. Elles permettent notamment d’avoir des points de contrôles pour la mise au point et la validation des modèles globaux, dont la vocation est de suivre et prévoir l’évolution du climat, mais aussi celles des ressources naturelles sous impulsion des changements globaux. Actuellement, de tels modèles existent, mais leur connaissance reste trop parcimonieuse pour qu’on puisse les déployer désormais partout, et il est donc nécessaire d’affiner sans cesse le degré de connaissances via la conduite d’expérimentations de terrain. Donc le projet RiFT reste au cœur de cette démarche car il facilitera le contrôle et la mise au point des modèles.

 

  • Le projet Rift s’articule autour des tours de flux. Pouvez-vous expliquer ce qu’est cette installation ?

Jérôme Demarty : une Tour de flux est une structure sur laquelle est rassemblée un grand nombre de capteurs et d’instruments de mesures dédiés aux variables hydro-météorologiques et aux échanges gazeux entre la surface et l’atmosphère. Ces dispositifs sont autonomes, donc en théorie, déployables partout. Ils enregistrent leurs données de manière continue, au moyen d’un système d’acquisition dédié et alimenté par des batteries, ces dernières étant rechargées par des panneaux solaires. Ces systèmes font en outre des mesures 24h sur 24, et ceci à haute fréquence, de l’ordre de la minute pour les données de type météorologiques, mais plutôt de l’ordre de 10-20 mesures par seconde pour les échanges gazeux entre la surface et l’atmosphère. On comprend alors pourquoi ces dispositifs demandent une logistique importante, impliquant des passages réguliers pour l’entretien des outils et la récolte des données.

 

  • Y a-t-il d’autres méthodes et outils alternatifs ?

Jérôme Demarty : Il n’existe actuellement pas d’autres alternatives techniques pour la mesure des flux sur le terrain. En revanche, des méthodes indirectes d’estimation des flux de surface existent, notamment sur l’appui de données spatiales et/ou de modélisation de surface, ce qui offre des avantages. Toutefois, les dispositifs de Tours de flux restent encore une référence à échelle locale, et par la même un outil encore indispensable à l’élaboration de ces alternatives.

 

  • Quel est l’avantage des tours de flux pour pallier le manque de données dans les zones encore peu étudiées, en particulière méditerranéennes ?

Jérôme Demarty : Quelle que soit la zone d’installation, il faut des conditions de terrain particulières. La difficulté au Sud est que ces installations nécessitent une attention particulière, il faut une présence humaine technique régulière. Généralement, c'est plus facile au Nord à côté d’un laboratoire qui travaille sur des sujets proches, car chaque tour coûte très cher (50 000 euros) donc on ne peut pas les déployer partout dans des lieux difficiles d’accès. Le manque de données vient principalement des manques de financement des pays du sud, donc le but est de les sensibiliser à ces techniques, de les transmettre et d’avoir des points de référence en Afrique où dans les régions tropicales, là où cette technologie est moins présente.

Or, pour bénéficier des modélisations les plus fines, il est nécessaire d’avoir des mesures sur des écosystèmes variés. Les savanes ou les forêts tropicales sont des écosystèmes majeurs dans l’évolution du climat, donc il est essentiel de déployer des outils de mesures dans ces écosystèmes pour enrichir la base de données mondiale. Le projet RIFT souhaite donc structurer un réseau de point de mesures sur ces écosystèmes.

 

  • Quelle variété d’instruments de mesure est intégrée à ces tours et qu’est-ce que cela permet ?

Jérôme Demarty : Sur les tours de flux, il y a deux grandes familles d’instruments : 

–    Ceux permettant la mesure des échanges de gaz entre la surface et l’atmosphère : les flux d’énergie, la quantité d’énergie que la végétation par exemple va absorber et la quantité que cette végétation va renvoyer et la quantité de carbone qu’elle va fixer.

–    Ensuite, il y a des systèmes pour avoir des informations météorologiques (température, humidité, vitesse du vent) tous ces paramètres qui vont avoir un impact sur le fonctionnement de la plante, l’humidité dans le sol, la température du sol, beaucoup de paramètres aériens et sous-terrain.

Une tour de flux peut ainsi rassembler plus d’une quarantaine de capteurs et instruments de mesure. 

 

  • Quelles sont les difficultés rencontrées par la communauté scientifique pour mettre en œuvre ces outils et utiliser ces données ?

Jérôme Demarty : la contrainte principale, hormis celle financière, c’est que les mesures sont représentatives d’une petite surface au sol. Donc le passage d’une forêt à un champ, même situés a proximité, va montrer des échanges très différents. Or, on ne peut pas multiplier les tours. Le challenge est donc de trouver des zones et milieux relativement homogènes et représentatives à une échelle plus grande pour avoir des mesures standardisées et représentatives.

Pour installer une tour de flux dans une forêt par exemple, il faut la placer au-dessus de la canopée, donc la structure porteuse devient aussi un élément problématique, comparée à un champ par exemple ou un simple mat de mesure est requis. 

De plus, les instruments nécessitent un nettoyage régulier. Au Sahel par exemple, la poussière est omniprésente,  et il est nécessaire de maintenir les outils propres afin de ne pas fausser les mesures. Il faut également se déplacer pour récupérer les cartes mémoires qui stockent les  données, toutes les 2 à 3 semaines par exemple. Et aussi surveiller les batteries, les pannes éventuelles. Cela nécessite beaucoup de passages et d’actions de maintenance obligatoires.

Donc pour installer ces tours dans des écosystèmes durs d’accès et peu représentés, le projet s’appuie sur le CIRAD et l’IRD qui est fortement implanté dans les pays du sud et travaille avec un réseau de chercheurs académiques et l’appui d’ingénieurs expatriés qui peuvent aider à organiser les tournées de maintenance. Mais une partie importante du projet est d’organiser la formation technique de personnes sur place et des doctorants qui pourront faire vivre ces instruments en prévision de l’avenir.

 

  • Quelle est la particularité du projet RIFT ?

Jérôme Demarty : deux choses :

–    Les données produites seront plus visibles à l’international. Dans la communauté autour de ces outils, il y a déjà une structuration internationale pour avoir des banques de données très importantes. Or dans ces dernières, il y a très peu de données issues des écosystèmes du sud.

–    Nous souhaitons également mettre en place des protocoles de certification de la qualité de la donnée produites, en s’alignant sur certaines standardisation.

 

  • Quels seront les principaux résultats de vos travaux ?

Jérôme Demarty : En plus de tout ce qui a déjà été évoqué avant, le projet RIFT a aussi comme objectif de renforcer les liens entre les communautés de l’eau et du carbone. Ce projet à des liens très forts avec les développeurs de modèles du fonctionnement carboné, de flux et des stocks du carbone. Les interactions sont donc fortes avec les autres projets du programme, pour des mesures plus intégrées et qui peuvent compléter ce que font les autres. De plus, les données pourront être utilisées pour proposer de nouveaux projets de recherches à l’international. Il y aura des projets communs qui aboutiront, c’est une certitude, car nos données produites intéresseront à un moment toute la communauté.

Date de modification : 15 février 2024 | Date de création : 09 janvier 2024 | Rédaction : FairCarboN